La matinée passe vite, et dans l'après midi, après une sieste certes pas méritée mais néanmoins nécessaire, il est temps de faire une balade avec la petiote. J'insiste un peu pour que nous allions à Saran, voir la base de retournement et les premiers rails de l'Aérotrain.
L'Aérotrain est un sujet qui me fascine depuis tout petit. Un ami avait un jeu de cartes avec des trains, où le but était de sélectionner une caractéristique du train de la carte du dessus du paquet (longueur, poids, nombre de moteurs, vitesse, puissance, etc) pour battre les autres et remporter leurs cartes. Le train le plus rapide à l'époque, avec 430,4km/h, était français et se nommait l'Aérotrain. Je m'étais toujours étonné de n'avoir jamais eu entendu parler de ce train, et de ce record de vitesse, établi dans les années 60, pourtant toujours en vigueur à l'époque de nos parties (années 90-91, et battu seulement presque 30 ans plus tard. Mais en même temps avec toute la propagande TGV qui était faite partout...
L'histoire, belle et cruelle, démarre au début des années 60 dans les ateliers de Jean Bertin, ingénieur de talent. Un de ses collaborateurs dépose le brevet du coussin d'air en 1961. Ses travaux sur la sustentation pneumatique, le principe des aéroglisseurs, l'ont amené à penser puis mettre en place des prototypes de trains aéroglisseurs, qui pourraient du coup s'affranchir des frottement, si gênants dans tout système mécanique. En 1964 Jean Bertin construit une maquette à sustentation à air comprimé d'1,5m, qui sera présentée à Georges Pompidou, alors Premier Ministre. Le futur président, d'une simple pichenette de la main, lui fait parcourir 10 mètres sur son rail, malgré son poids considérable. Il est impressionné par la maquette et les propriétés du coussin d'air, et le projet reçoit l'aval du gouvernement de l'époque.
Une première ligne à échelle ½ de 6,7km est tracée près de Paris, entre Gometz-La-Ville et Limours, Sur un tronçon désaffecté de l'ancienne ligne Paris-Chartres. Elle est constituée d'un simple rail de béton en T inversé. Le principe du T inversé empêche tout déraillement et la construction du rail est d'une simplicité enfantine et d'un coût minime, puisqu'il s'agit de simple béton commun.
Le premier prototype d'Aérotrain, nommé Aérotrain Expérimental 01 voit le jour en 1965. Il pouvait embarquer 4 passagers et était propulsé par un moteur d'avion et une hélice, deux systèmes de coussins d'air assurant à la fois la sustentation et le guidage. Ces coussins d'air étaient générés par de simple moteurs de Renault 8 Gordini! Sur le court parcours Gometz - Limours il atteignit avec sa propulsion standard la vitesse moyenne de 200km/h et ne souffrait d'aucun problème de fiabilité. L'engin flottait à 2-3mm seulement au dessus de la voie, mais cela n'est que le bord de fuite des jupes du coussin d'air. Le châssis se trouvait donc au moins à 5cm au dessus du sol, ce qui lui permettait d'absorber les imperfections de la voie et de passer sans problème des petits obstacles.
De nombreux hommes d'État, ministres, industriels et hommes d'affaires français comme étrangers ont le privilège de voyager à bord du 01 et d'en apprécier le confort, la rapidité et la fiabilité. La viabilité du projet était démontrée. Afin de le pousser dans ses derniers retranchements, et d'établir un record de vitesse, les ingénieurs l'ont équipé d'un réacteur, deux mini fusées d'appoint, ainsi que de parachutes pour le freinage. Le dispositif est impressionnant (voir vidéo plus bas tout à l'heure), et le premier Aérotrain atteint 345km/h, ce qui est plus que considérable sachant qu'il est nécessaire de freiner tôt, du fait de la courte longueur de la voie, 6,7km je vous le rappelle. A cette époque les trains classiques les plus rapides atteignaient à peine 140km/h...
Un second prototype voit donc le jour, complètement différent. Il est muni d'un cockpit biplace, motorisé par un réacteur Pratt & Whitney, et ressemble un peu à un avion sans ailes. Ce prototype, très léger, au look tout droit sorti d'une BD de science-fiction, est nommé Aérotrain Expérimental 02 et parvint à attendre les 422km/h sur le même parcours.
La bonne marche du projet convainc le Président Pompidou de construire une autre voie, plus longue (18km), est construite au nord d'Orléans en 1969, entre Saran et Artenay. Elle pourra plus tard s'inscrire dans un axe Paris-Orléans, trajet qui ne devrait durer que 25 minutes ! (Il faut 1h au TGV d'aujourd'hui, en 2010, pour le même trajet.)
Elle est légèrement différente de la première, car construite en viaduc à 5m du sol, afin de limiter l'emprise au sol, de ne pas créer de coupure dans les champs et les routes, et d'éviter la chute d'objets sur les voies (branches, etc). Aux extrémités, deux plateformes de retournement sont construites et à Chevilly, à mi-parcours, une plateforme et un hangar qui serviront de base. Comme cette nouvelle voie est à l'échelle 1, les anciens prototypes ne seront par conséquent pas compatibles avec cette nouvelle voie.
Un nouveau modèle, spécialement conçu et beaucoup plus grand voit le jour, le I80-250. « I » pour Interurbain, « 80 » car il pouvait embarquer 80 passagers, et « 250 » car la vitesse de croisière prévue était de 250km/h. Il pesait 24 tonnes seulement, grâce à sa structure très légère entièrement en aluminium (comme ses grand frères), en effet, n'ayant que très peu de contraintes physiques à subir les Aérotrains peuvent être construits en matériaux légers et moins résistants. Deux turbines entrainaient une hélice carénée à pas inversable. Le freinage était donc assuré par l'inversion du sens des pales de l'hélice (et non du sens de rotation de l'hélice), et complété par un système de patins qui venaient pincer le rail central. En cas d'urgence on pouvait couper la sustentation et l'aérotrain se posait donc sur la voie, grâce à des patins, augmentant ainsi les frottements. Comme le 02, le I-80, lorsqu'il atteignait une certaine vitesse, était en partie en auto-sustentation, c'est à dire que l'air qui entrait par les prises d'air sur l'avant suffisait quasiment pour maintenir le coussin d'air, et que les moteurs de sustentation pouvaient donc être ralentis pour économiser de l'énergie.
Le projet avançait parfaitement, et aucun problème majeur n'était à déplorer, le I80-250 était d'une fiabilité exemplaire. Petite anecdote : certains techniciens de l'Aérotrain racontent que leur petit plaisir était de ranger l'I-80 dans son hangar à seulement deux personnes, un devant et un derrière. Il laissaient la sustentation activée et du coup une simple pichenette de la main suffisait à déplacer les 24 tonnes du monstre ! (pour le dégager de la voie, une partie du rail était escamotable à Chevilly).
Toujours en 1969, juste à coté de la voie de Gometz, une nouvelle voie voit le jour, parallèle à la première, toujours au ras du sol, mais en tarmac et avec un rail central plus fin et entièrement en aluminium. Elle accueillera le prototype S44 (suburbain 44 places), motorisé par un LIM (Moteur Linéaire à Induction), propulsion entièrement électrique donc. Il était prévu pour une vitesse de croisière de 200km/h et un petit moteur diesel d'appoint est également présent sur l'engin en cas de panne électrique, les LIMs en étant à l'époque à leurs tout premiers balbutiements, et donc extrêmement énergivores en regard de leurs performances. Le S44 était l'arme absolue, silencieux, non polluant et rapide malgré tout. Jean Bertin à tout de suite compris que c'était la solution parfaite pour des transports suburbains, comme les lignes centre-ville – aéroport par exemple. Il atteint quasiment 180km/h sur sa courte de voie de 3km seulement, ce qui est tout de même élevé pour une propulsion électrique à l'époque.
Le prototype 01 est modifié à nouveau. Bertin veut tester toutes les solutions de propulsion possibles. On retire dont le turbo-réacteur (qui à remplacé le moteur à hélice initial en 1967) et un groupe hydraulique entrainant deux roues pressées contre le rail central est installé. Même avec ce mode de propulsion adapté façon bricolage et théoriquement moins performant, il atteint 157km/h, vitesse qui aurait vraisemblablement pu être améliorée, car limitée par un système hydraulique mal adapté. Cependant on perd ici un peu l'idée de ne pas avoir de frottements.
Du coté de Chevilly, le I80-250 est modifié également. On lui retire l'hélice carénée pour la remplacer par un turbo-réacteur à inversion de poussée équipant d'habitude les Caravelles et Boeing 707, de 6,8T de poussée, modifié avec un silencieux maison pour réduire drastiquement les nuisances sonores. Il est rebaptisé I80-HV, pour Haute Vitesse. Les résultats ne se font pas attendre. Le 5 mars 1974, le I80-HV explose le record du monde de vitesse sur rail: 417km/h sur 3km, avec une pointe à 430,4Km/h. Et dire que les performances du turbo-réacteur ne sont pas optimales car celui-ci est conçu à la base pour fonctionner à 10000m et non au niveau du plancher des vaches !
Il faut savoir également que du fait des faibles longueurs de voies, 6,7Km pour les 01 et 02, 3km pour le S44 et 18km pour le I80, aucun Aérotrain n'a réellement pu atteindre sa vitesse maximale car le pilote est contraint de freiner à environ deux kilomètres du bout de la voie, alors que les bolides en avaient encore « sous la pédale ».
Concernant le coussin d'air à très haute vitesse, les ingénieurs Bertin avaient fabriqué un chariot supersonique en 1967 pour étudier son comportement. Le chariot fut propulsé à 1400km/h, et le coussin d'air jouait toujours parfaitement son rôle. On peut donc penser légitimement qu'avec une voie plus longue, le I80 aurait largement pu atteindre la barre symbolique des 500km/h...dès 1974!
A l'époque, les pilotes de l'Aérotrain se plaçaient au bout de la voie, qui était parallèle à la ligne SNCF Paris/Orléans (à ce moment la plus rapide de France), et attendaient le train SNCF. Dès que ce dernier passait à leur coté, ils démarraient l'Aérotrain, et, quelques kilomètres plus loin, le doublaient furieusement, en le laissant littéralement sur place, ce qui devait bien amuser les passagers de l'époque et faire fulminer les conducteurs SNCF.
Même à ces vitesses incroyables pour l'époque (qui seront battues par le TGV Atlantique seulement 20 ans plus tard!), le confort assuré par le coussin d'air est sans égal. Les caméramans filment sans trépied, on ne ressent aucune secousse, aucune vibration, juste la sensation d'accélération et de freinage. Un compteur de vitesse était installé dans la cabine passagers, ces derniers avaient par ailleurs souvent du mal à le croire, car le confort était tel que la sensation de vitesse était fortement atténuée. Petite anecdote, un jour, un journaliste qui se trouvait à bord lors d'un voyage de démonstration demanda à Jean Bertin : « Mais dites-moi, lorsque l'Aréotrain est en marche, ressent-on des secousses? » Jean Bertin lui répondit avec délice : « Eh bien constatez par vous même, regardez par la fenêtre, car cela fait une minute que nous sommes partis! ».
Jean Bertin était un visionnaire exceptionnel, et malgré les performances hallucinantes pour l'époque de l'I80, il savait que l'avenir c'était le S44 et la motorisation électrique. Il ne prévoyait d'ailleurs pas d'aérotrains commerciaux allant beaucoup plus vite que 350km/h, parce qu'au delà, la puissance nécessaire pour atteindre des vitesses supérieures augmente exponentiellement, car la résistance aérodynamique devient très forte. Le principal atout de l'Aérotrain était donc non pas sa vitesse mais surtout son coût. Peu cher à construire, des voies qui peuvent être construites rapidement et pour trois fois moins cher qu'une ligne classique et un donc réseau qui peut se déployer à vitesse grand V. L'atout des aérotrains, contrairement aux trains classiques était aussi la fréquence. L'excellente accélération et le freinage puissant des aérotrains aurait permis des départs rapprochés, toutes les 5 minutes, contre plus d'un quart d'heure sur les lignes classiques. Un véritable hybride entre le métro et le train classique. L'Aérotrain ne se posait donc pas en concurrent du TGV mais aurait été parfaitement complémentaire, car son domaine de prédilection est les trajets moyens avec beaucoup d'arrêts ! Même s'il aurait également pu le supplanter voire faire mieux sur les lignes à grande vitesse.
Voici un petit film de présentation, très intéressant, ou Jean Bertin explique toute l'étendue de son concept:
Dans ce film, on voit également le Tridim, un protoype autonome 4 places, mu par des moteurs électriques qui entrainaient des roues crantées sur un rail en double crémaillère. Il doit son nom à sa capacité à se déplacer dans les trois dimensions car extrêmement agile et capable de franchir des dénivelés impressionnants. Je n'ai malheureusement pas trouvé beaucoup plus d'informations que ce qui est dit dans le film ci dessus sinon qu'il atteignait la vitesse de 50km/h et qui à été testé en partenariat avec EDF au centre des Renardières, en 1973 et 1974.
Le projet se déroule toujours sans la moindre panne, problème ou contrainte. De nombreux pays se montrent extrêmement intéressés par cette technologie, notamment les États-Unis, la Suède, l'Argentine, l'Allemagne, le Brésil,... Tous n'attendent qu'une chose pour lancer les commandes, que la première ligne soit en service en France.
Seuls quelques détracteurs mettent en cause le bruit de l'engin (qui je le rappelle est expérimental), alors même qu'il ne fait pas plus de bruit à 350km/h que le plus rapide des trains classiques, le Capitole, à 180km/h, grâce aux silencieux du réacteur et à l'emploi de matériaux insonorisants. Et encore, de nouvelles soufflantes insonorisées étaient prévues. Le gain sonore provient aussi du fait qu'il n'y a aucun bruit de roulement car aucun contact avec la voie.
La voie, non compatible avec le réseau existant, est également pointée du doigt, quand bien même une ligne pour TGV (LGV), seule capable de lui permettre de franchir les 200km/h est également différente d'une voie classique, même si le TGV peut également circuler sur voies normales mais à vitesse réduite.
Cependant la voie d'aérotrain est en simple béton et composée uniquement d'éléments standards préfabriqués. En plus, la capacité d'absorption des écarts de la voie par le coussin d'air (jusqu'à 5cm) permet d'éviter de faire des ajustements de grande précision lors de sa construction alors qu'une LGV est conçue au micromètre près.
Au niveau entretien, alors qu'il faut changer les rails de LGV tous les 3 ans, une voie d'aérotrain coûte quasiment ZERO, car elle évite tous les problèmes de feuilles mortes, neige ou autres qui n'affectent pas l'aérotrain, sans compter qu'elle ne s'use pas, n'est pas traitée chimiquement comme les traverses de chemin de fer (un cauchemar pour les sols) et qu'il n'y a pas besoin de la désherber.
De plus elle à une très faible emprise au sol, donc évite les expropriations (ces indemnisations qui sont le premier poste de dépense (80%) lors de la construction d'un ligne de transports), ainsi que les coupures de terres qui pénalisent exploitants agricoles et animaux sauvages, obligés de trouver un pont pour traverser, et ne nécessite aucun ouvrage d'art (ponts, tunnels) ou passage à niveau.
Le 21 juin 1974, l'État signe un contrat de construction d'une ligne d'aérotrain entre Cergy et La Defense. Le but sera de transporter 160 passagers à 200km/h. Bien que Jean Bertin préconisait de relier d'abord les aéroports d'Orly et Roissy Charles de Gaulle, liaison plus simple à mettre en place, car nécessitant moins d'expropriations et permettant d'exploiter pleinement les capacités de l'Aérotrain, contrairement à Cergy-La Défense où 4 arrêts sont prévus sur 50km. Mais c'est tout de même mieux que rien, même si l'État ne donnait pas la moindre explication sur le refus de la ligne entre les aéroports, qui aurait de plus été très utile, et qui de nos jours n' existe d'ailleurs toujours pas (Alors même que le sous-sol d'Orly est vide et était prévu pour une future gare lors la construction de l'aéroport dans les années 50).
Le 17 juillet, moins d'un mois plus tard, l'État revient sur sa décision, annule le contrat et retire tout soutien financier à la Société de l'Aérotrain. La SNCF, pourtant actionnaire depuis le début du projet (pour mieux le saboter de l'intérieur?) fait de même.
Mais que s'est-il passé entre temps ? Eh bien tout simplement Valery Giscard d'Estaing qui vient d'être élu en mai a pris ses fonctions à la présidence de la république. Et sa toute première mesure sera d'annuler la commande de la ligne et supprime les crédits. Il faut savoir que VGE à épousé une fille de la famille Schneider, qui ont des intérêts élevés dans la métallurgie et qui fabriquaient des locomotives et des rails, au Creusot. De plus la campagne présidentielle de Giscard à été en grande partie financée par l'UIMM, le syndicat des patrons de la métallurgie.
La SNCF, quand à elle, voyait évidemment d'un très mauvais œil le démarrage d'un technologie qui n'est pas maison, qu'elle ne maitrise pas et qui pourrait s'avérer concurrentielle, et donc retire tous ses capitaux du projet en prenant bien soin de saboter les relations internationales de la Société Bertin (notamment en Argentine). Bref, tout le monde cherche à préserver ses intérêts commerciaux, un train rapide, économique, sans rails métalliques, voilà qui pourrait leur causer beaucoup de tort.
Pour info, la non compatibilité de voie posait effectivement problème pour pénétrer à l'intérieur des villes. Une étude pour trouver des faisceaux de pénétration dans Paris avait donc été lancée en 1974. 11 faisceaux avaient été identifiés, tous sont des lignes SNCF désaffectées, ou même démontées. La SNCF s'empressa de refaire installer des rails histoire de bloquer toute possibilité pour l'Aérotrain.
Les journaux titrent « Trop cher, l'Aérotrain est sacrifié à la politique d'austérité ». Mensonges et balivernes. L'ensemble du projet, études, prototypes, voies, infrastructures, personnel aura couté à peine autant que la simple étude du système de freinage des TGV. Oui, juste l'étude.
Pour justifier son choix, l'État prétend que le projet Aérotrain est plus cher que le projet TGV à l'aide d'un étude comparative sur le trajet Paris-Lyon. Mais cette étude, complètement biaisée ne compte pas la TVA et les expropriations dans le cas du TGV alors qu'elle les « facture » dans le cas de l'Aérotrain. Quand on sait que la TVA (20% du coût total) et les expropriations (50% du coût total) sont, et de loin, les deux premiers postes de dépenses du projet SNCF...
Le 8 septembre, Giscard et la SNCF lancent officiellement la commande d'une ligne de TGV Paris-Lyon (qui comme par hasard évite Dijon et passe par Le Creusot, et qui sera seulement mise en service en 1981!), alors même que le TGV n'en est qu'au stade de prototype à turbine à gaz, les mêmes que l'I80 d'ailleurs, et bien loin d'atteindre les performances de ce dernier. On aura vu mieux comme politique d'austérité!
Jean Bertin ne s'en remettra jamais. Il développa un cancer fulgurant, et décède le 21 décembre 1975. La société Bertin tenta de financer ses propres essais et de continuer l'aventure, mais sans succès, et les essais de l'aérotrain s'achevèrent en 1978. Les négociations avec les pays étrangers ne peuvent plus aboutir, d'une part car la SNCF savonne systématiquement la planche, d'autre part car personne n'ose faire confiance à une technologie qui à été refusée dans son pays d'origine. Évidemment il n'en aurait pas été de même de nos jours avec la mondialisation, mais à l'époque les frontières jouaient pleinement leur rôle filtrant.
Les modèles 01, 02, S44 et le Tridim Sont placés dans un hangar à Gometz, le I80 dans son hangar à Chevilly. Mais du fait des visites de visiteurs irrespectueux dans ces hangars abandonnés, ils se dégradent très vite. Le 01 est restauré en 1989 pour être exposé pour les 20 ans de la ville de Cergy, puis mis en sécurité dans les locaux de la société Bertin, à Plaisir.
En 1991, l'émission de TV « Combien ça coûte » consacre un reportage à l'Aérotrain. Quelques jours plus tard, le 17 juillet, le S44 est incendié dans le hangar de Gometz. Le 02 et le Tridim sont récupérés dans un très sale état par la société Bertin et rejoignent leur grand frère au siège de l'entreprise, mais le S44 est trop grand pour rentrer dans leur hangar de Plaisir, et reste donc à Gometz.
Peu de temps avant ces événements, une association (ARSATI) s'est montée dans le but de créer un Musée pour l'Aérotrain. Pendant ce temps, à Chevilly, le hangar est de plus en plus visité et le I-80 se dégrade très rapidement. Mais l'appareil est la propriété de l'État, et l'association doit attendre un accord du Ministère des Transports avant de pouvoir déplacer l'appareil. Le 6 mars 1992, à 6h00, le I-80 est également mystérieusement incendié, et presque entièrement détruit. On à recensé 7 départs de feu... Et cela quelques jours à peine avant que la fameuse autorisation n'arrive à l'ARSATI.
Les membres de l'ARSATI ne baissent pas les bras. Le 6 janvier 1993, le S44 partiellement calciné est transporté à Saran, dans les ateliers municipaux de la ville.
En février 1994, les membres de l’association ont nettoyé le S44 et l’appareil a été transporté le 2 septembre 1994 dans un hangar de la base militaire d’Orléans-Bricy. Ce hangar, prêté par l’armée, devait servir d’atelier pour la rénovation esthétique du véhicule. Mais quelques semaines après l’installation, l’association s'est vu étrangement interdire l'accès au hangar. N’ayant pas réussi non plus à créer le musée projeté, l’ARSATI a fini par disparaître.
Incendies criminels du S44 et I-80, « confiscation » du S44...certains devaient voir d'un très mauvais œil qu'on parle de l'Aérotrain de peur qu'un projet similaire ressorte des cartons...
Quand l'armée quitte la base d'Orléans-Bricy quelques années plus tard, le hangar n'est plus gardé et le S44 complètement détruit. Le hangar des Chevilly, très affaibli par l'incendie de 1992, à été démoli en 1997 et les restes calcinés de l'I-80 ferraillés.
En 2000, l'Aérotrain 02 est récupéré par une nouvelle association : Les Amis de Jean Bertin. Ils le rénovent afin de l'exposer en février 2001 au salon Retromobile, en compagnie du 01.
Ainsi s'achève tragiquement cette aventure qui aurait pu être fantastique, qui aurait pu doter brillamment la France et le Monde d'un moyen de transport révolutionnaire, moderne et rapide, dès les années 70. Mais les lobbys, les intérêts financiers de certains étaient trop puissants pour Jean Bertin et ses collaborateurs, qui y ont pourtant mis tout leur cœur, voire leur vie.
D'autres projets un peu similaires ont été tentés à l'étranger, aux USA le Grumman, le Garrett, sur un modèle différent de rail, et surtout le Rohr (LIM électrique également), sous licence Aérotrain Bertin, et qui atteignait 240km/h sur sa très courte voie de 2,3 km ! En Angleterre, le RTV31 n'a jamais dépassé les premiers tests. Les 3 modèles d'IAP en Italie, le Talav au Brésil on disparu et aucune info ne semble disponible. Globalement ils ont tous subi le même sort, et surtout, n'ont pas eu réellement leur chance d'avoir un soutien de l'État, avec de vraies voies de tests comme celles construites en France sous Pompidou.
Quelques trains à sustentation magnétique ont depuis vu le jour, comme le Transrapid en Allemagne ou le Maglev au Japon. Ils ont de commun avec l'aérotrain qu'il ne touchent pas la voie et évitent donc les frottements. En revanche, la voie coûte une fortune (3 fois le prix une LGV, elle même au moins 3 fois supérieure à une voie d'aérotrain!), et est très compliquée à fabriquer car la voie est active et le train passif, donc nécessite de grande quantités de métaux conducteurs très chers. Les trains à sustentation magnétique sont donc économiquement non rentables pour le moment en raison de leur couts d'infrastructure et d'exploitation prohibitifs. Mais ça pourrait changer avec l'arrivée des supraconducteurs...
Aujourd'hui les voies sont toujours visibles. La voie de Gometz à été envahie par la végétation et à très mal vieilli, car construite à la hâte et en béton de mauvaise qualité. Les éléments de la voie ont bougé, et certains ont été démonté, notamment pour faire place à une route comportant un rond point au niveau de Gometz. Ce rond point comporte une partie de la ligne conservée ainsi qu'une sculpture de Georges Saulterre.
La voie de Saran à Artenay est quasiment intacte 40 ans après. (preuve que l'entretien est quasi nul sur une voie d'aérotrain). Bien que les bâtiments de Chevilly aient été rasés dans les années 2000, il reste toujours la plateforme de base et celles de retournement aux extrémités de la voie. Cependant 120m de voie ont été détruits pour laisser passer l'autoroute A19 à environ deux kilomètres au nord de Chevilly.
Étant particulièrement sensible à la corruption et à l'injustice, détestant les puissants qui abusent de leur force, qui au lieu de développer un monde meilleur font tout pour conserver leur acquis, cette histoire m'a particulièrement touché. J'imagine la douleur qu'on dû ressentir Jean Bertin et son équipe lorsqu'on a délibérément saboté leur projet et leurs belles idées.
J'aimerais vraiment en savoir plus sur toute cette épopée, et les trains à sustentation pneumatique. Je crois qu'un jour, je ferai un pèlerinage près de Paris pour visiter l'association « Les Amis de Jean Bertin », et qui sait, peut-être avoir la chance de voir un Aérotrain Bertin en vrai.
Peut-être qu'un jour, financés par un mécène (façon Mark Shuttleworth pour Ubuntu), certaines personnes talentueuses, ingénieuses et surtout courageuses se lanceront sur la réalisation de l'idée de Jean Bertin.
Un projet nommé Albatros à été lancé en région PACA, pour des trains à sustentation pneumatique comme l'Aérotrain. Les projections annoncent des aérotrains à 900km/h, soit Paris-Nice en 1h. Je suivrai ça de près, en espérant que ce ne soit pas de l'intox, mais j'ai peu d'espoir puisque aujourd'hui les lobbys sont encore plus puissants qu'à l'époque et les financements limités. Pour l'instant il manque les 120 millions d'euros nécessaires au démarrage du projet.
Aujourd'hui, beaucoup de pays émergents ont besoin de moyens de transports rapides, économiques, écologiques et modernes. Nous, Français, n'avons pas su saisir notre chance de prendre un avantage significatif dans le monde des transports, et développé un TGV coûteux, qui en plus est un échec commercial (nous n'en avons vendu quasiment nulle part!). Peut-être que si l'idée d'un train sur sur coussin d'air ressort des placards et est transposée ailleurs, elle se verra enfin concrétisée.
Il est permis de rêver. Merci, Jean Bertin, de me faire toujours rêver, 40 ans plus tard...
Je sais, j'ai été long... Eh bien non je n'ai pas arrêté le blog, simplement pour ce sujet complexe et technique j'ai eu besoin de beaucoup de temps pour me documenter et m'informer. Si le sujet vous intéresse, et que vous voulez plus de détails, je serais ravi d'échanger avec vous, d'autant plus qu'il ne s'agit ici que d'une brève synthèse. Il y a énormément d'informations et d'anecdotes existantes sur ce sujet passionnant.
Merci aux membres du forum Aérotrain.fr et aux auteurs des différents sites d'où proviennent ces images. Je n'ai pas pris la peine de demander l'autorisation systématique de les utiliser, vu que je les ai utiliséés à but non lucratifs. J'ai mis des liens vers les sites concernés dans les commentaires.
Un seul commentaire : Fabuleux.
merci pour cette excellente synthèse.
Le rêve est encore possible, il suffit de se pencher pour le ramasser... Mais en aurons nous le courage ?
Hello,
Very good blog post I love your site keep up the great posts.
super vous avez relaté cette histoire extraordinaire de très belle façon et suis fort déçue de la fin de l'histoire....
en France on n'a pas de pétrole mais on avait des idées !
Tout simplement bravo pour cet article très complet.
Moi aussi, vraiment touché, voire même hanté par cette histoire et l'injustice qui en a découlé. Lobbys, pouvoirs politiques, puissants adorant l'immobilisme gangrènent notre société et sa volonté d'évoluer.
Encore bravo pour ce bel article.
Bonjour,
Bravo pour cet article passionnant! Mais quelle fin tragique pour un projet tellement prometteur. Ça rappelle le destin funeste des inventions révolutionnaires de Nicolas Tesla au début du 20ème ou, plus récemment, le sabotage de l'essor de la voiture électrique et celle à air comprimée par les lobbies pétroliers. A croire que l'histoire se répète. Merci en tout cas d'avoir mis si brillamment en lumière le génie philanthrope de Jean Bertin. J'espère qu'il fera des émules!
Merci pour cet article très intéressant.
Nicolas.
Grand merci pour ce long article ; j'ai été, moi aussi, un grand admirateur de cette série d'aérotrains ; les minables qui ont incendié les prototypes de cet engin en ont privé un musée ou un autre (et nous par la même occasion) regroupant des technologies innovantes!
c'est ce qui s'appelle mettre des bâtons dans les roues ..Un paradoxe dans ce cas ! Au delà, il est vrai que ,souvent le génie des hommes,que ce soit dans les domaines scientifiques,technologiques ou humanitaires est contre- carré par les appétits de pouvoirs, si ce n'est économiques...
Bravo pour cet article passionnant (et passionné) que j'ai lu avec beaucoup d'intérêt après avoir voulu en savoir un peu plus en ayant croisé près d'Orléans les restes de la voie expérimentale de l'aérotrain.
Tres bel article, Bravo. Je me permet aussi d'ajouter queJean Bertin a aussi developpe le Naviplane N500 entre autre a Paulliac en Gironde. C'etait a l'epoque le plus gros aeroglisseur du monde. A sa mise en service, Malheureusement, Jean Bertin n'etait plus de ce monde, mais l'histoire c'est repete! deux exemplaires ont ete contruit et 3 mois apres la construction du premier prototype, il a brule devant le hangar a Pauillac seulement quelques jours avant que la presse et la famille royal britanique devait venir! Le second a ete termine, puis a fonctionner en partenaria avec la SNCF, mais sans subir de test suffisament pousse. Puis la SNCF le vend a Hoverspeed. Hoverspeed demande de nombreuse modification avant d'accepter le N500 qui seront faite, et le N500 sera en service pendant 5 annees. Hoverspeed rendera finalement le N500 a la SNCF explicant qu'il ne correspond pas au cahier des charge de l'entreprise, et il sera detruit sur le port de Boulogne 5 mois plus tard. Quel gachis!!
Pour la petite histoire, le N500 qui a brule s'appelait le cote d'argent et le second qui devait s'apeler le cote d'opale a ete batise l'ingenieur Jean Bertin en souvenir de ce Grand Homme.
Je vous invite a regarder les documents sur ces Naviplane et sur leur developpement dans les annees 76-79 et sont fonctionnement jusqu'en 85. C'est tres interressant et triste a la fois de voir a quel point l'etat Francais peut etre nul!
merci encore pour ces articles de l'aerotrain.
Jeremy